Plaidoyer à Mr Collomb
Voici le plaidoyer d’un médecin de Médecins du Monde adressé à Mr Collomb, ce même médecin qui a à présent entamé une grève de la faim pour protester contre les procédures de Dublin engagées envers des demandeurs d’asile de Barcelonnette (article ici) :
Depuis plusieurs mois, de nombreuses personnes isolées, enfants et familles à la rue sont poussées par les forces de police à se déplacer, au rythme des expulsions, errant d’espace public en espace public. Médecins du Monde est présent auprès de ces personnes et constate que la précarité de leurs conditions de vie altère leur santé physique et psychique, autant que leur dignité.
La pratique des médecins est encadrée par notre code de déontologie qui nous oblige à soigner les personnes quelques soient leur origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée […] (extrait de l’article 7). Il ne s’agit pour ce code ni de défendre une bonne morale ou je ne sais quelle charité, mais juste de garantir des droits et des devoirs pour l’organisation de soins dignes et de qualité dans notre pays.
Sur quelle déontologie politique pourrons-nous nous accorder ? Vous paraissez craindre d’accueillir la misère du monde, quand nous craignons que se construise pour le monde une politique qui, elle serait misérable. Vous dites redouter l’appel d’air, quand nous redoutons toute décision économique, politique ou militaire qui contribuerait à créer les conditions de départ de ces personnes. Vous discutez la présence de migrants économiques, quand nous témoignons que la grande pauvreté est toujours le résultat de choix humains, et donc politiques. Vous avez peur qu’il y ait trop d’étrangers en France, quand nous défendons qu’aujourd’hui la citoyenneté ne peut plus être pensée seulement au niveau national, les échanges et les économies étant définitivement interdépendants et internationaux.
Comment ne serions-nous pas ulcérés quand, au lieu de mettre en travail ces enjeux-là dans le débat public, votre réponse est de mobiliser les forces de police pour chasser des personnes que la République a la responsabilité de protéger.
La dangerosité de cette réponse n’est pas que symbolique et nos soignants peuvent en témoigner : ruptures de traitement, épuisement, troubles du sommeil et anxio-dépressifs, exposition accrue au risque de déshydratation, femmes enceintes et femmes isolées avec enfants et exposées à des risques de violence. Alors que le niveau 3 du plan canicule est activé à Lyon, les riverains et citoyens, qui s’assurent que l’accès à l’eau et à l’hygiène soit garanti aux personnes, endossent une responsabilité qui n’est pas la leur. Pourquoi devons-nous sans cesse nous battre pour que les droits fondamentaux des personnes soient respectés dans notre ville, notre pays ?
Nous avons essayé à deux reprises de vous rencontrer au printemps pour échanger avec vous sur le sujet. Vous n’aviez pas le temps… Nous avons lancé notre « Appel de Lyon » contre la tentation raciste et nationaliste de l’entre deux tours de l’élection présidentielle, tout en affirmant notre volonté de vigilance sur la politique à venir. Et notre vigilance déjà tourne à la colère.
La république, la chose publique, Monsieur Collomb, ne doit-elle pas prendre pour sens l’organisation de la vie en commun autour de nos valeurs républicaines ? Cette Politique, dont nous avons chacun la responsabilité en tant que citoyen, ne doit-elle pas viser à instaurer la liberté, dont celle de circuler, de boire et se laver, l’égalité, dont celle des droits pour chacun de bénéficier de soins dignes et adaptés, et la fraternité qui n’est possible qu’avec la détermination de nos responsables politiques ?
Nous espérons toujours pouvoir échanger avec vous sur le sens que vous souhaitez donner à ces questions, afin qu’à Lyon, en France et dans le monde, le temps de l’entrave, de la soif et des châteaux forts soit définitivement révolu.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués